Pour en finir avec la mauvaise réputation des frais de gestion
Pour celles et ceux qui, comme moi, écrivent des demandes de subvention, comme pour les acteurs, le rejet n’a rien de nouveau. Ça fait partie du métier. Par contre, l’an dernier, j’ai reçu une réponse par téléphone qui m’a très sincèrement laissée bouche bée. « Nous adorons votre projet et nous pensons que votre travail impacte positivement nos communautés à long terme » affirmait le représentant en question, « mais nous ne voulons couvrir que le coût du projet, pas de salaires, d’équipement ou de matériaux. » Excusez-moi? Ai-je bien entendu?!
La mauvaise réputation des frais de gestion
Voici le nœud du problème: à toutes fins pratiques, il n’est pas possible de bâtir et de maintenir des coalitions fortes, de gérer des organisations de manière efficace gratuitement, sur le coin d’une table. Dans les coulisses de la lutte pour l’avancement des enjeux sociaux complexes auxquels nous faisons face se cachent des personnes et des infrastructures. Malgré cette réalité, dans le monde des OSBL, on constate qu’un mythe entoure les dépenses indirectes et les frais de gestion – définis vaguement comme toute dépense n’étant pas directement liée à la fourniture d’un service. Ce mythe laisse planer la croyance selon laquelle une organisation à but non lucratif avec de faibles dépenses indirectes est plus efficace ou même, que son impact social est plus important. Ceci créé une pénurie, un cycle de privation au sein duquel les bailleurs de fonds sous-nourrissent nos infrastructures essentielles et ce, de manière chronique, en faveur d’un modèle de financement « projet par projet ». Cette tendance contraint les organismes sans but lucratif à couper les coins ronds en ce qui concerne leurs besoins de base, ce qui affecte inévitablement la qualité de leur fonctionnement. La plupart d’entre nous, qui travaillons dans le secteur, sommes intimement familier-ères avec ce qui en résulte : un ordinateur brisé qu’on ne remplace pas pendant des mois, les fonds qui manquent pour nous envoyer à des conférences et des ateliers qui nous permettraient de parfaire nos savoir-faire, ou encore des augmentations de salaire qui peinent à s’indexer au coût de la vie.
Ce mythe impacte notre relation avec nos bailleurs de fonds ainsi que nos donateurs. Ceux-ci limitent souvent de manière explicite le pourcentage des « coûts indirects » pouvant être couverts par leurs donations : la plupart des fondations définissent le taux de frais de gestion à 15%, malgré les constations faites lors d’une étude récente sur les organismes sans but lucratif, qui démontre que la proportion des dépenses totales d’une organisation qui couvrent les coûts indirectes se situe plutôt entre 21% et 89%. La plupart des donateurs font entièrement fi des subventions de fonctionnement, priorisant plutôt un type de financement non-renouvelable, dit semence, visant directement et uniquement des programmes ou des projets spécifiques. Dans leurs échanges avec leurs donateurs individuels, les organisations vont souvent même aller jusqu’à souligner le peu de dépenses ayant été allouées aux frais de gestion, ceci étant associé à un impact plus direct sur une communauté donnée, une soi-disant preuve de l’efficacité avec laquelle les fonds ont été attribués.
Du coup, et en accord mes discussions avec bon nombre d’organisations, on constate que celles-ci en viennent à dépenser une quantité considérable d’énergie à recalculer et réajuster des budgets dont les dépenses indirectes sont artificiellement basses ou dont certains coûts indirects de projets sont camouflés à l’aide de budgets imprécis. J’ai aussi travaillé dans des organisations qui, à long terme, peinent à maintenir un niveau d’investissement minimum nécessaire pour soutenir le personnel et les infrastructures qui sont au cœur du fonctionnement durable de leur organisation, menant à un niveau de gaspille et d’inefficacité qui va augmentant avec les années. Quand nous sommes contraints à faire rouler nos programmes en rapiéçant différentes sources de financement qui ne tiennent pas compte de nos besoins fondamentaux, de tous les coûts pourtant essentiels qui en sont le moteur, il devient presque impossible de se doter des outils nécessaires à l’accomplissement d’un travail de qualité.
Vers une nouvelle conversation
Dans les faits, la proportion des coûts directs et indirects assignés à un programme n’a aucun lien avec le niveau efficacité d’une organisation et ne peut donc pas être utilisée pour en mesurer l’impact.
En ce sens, du côté des États-Unis, plusieurs de nos collègues tentent de rediriger les conversations concernant le financement. Un modèle connu sous la bannière du pay-what-it-takes, signifiant « payez ce que ça prend, » propose de s’éloigner de cette tendance à la diabolisation des coûts indirects pour se rapprocher d’un apport qui corresponde aux coûts réels du travail et ce, dans sa totalité. Ce modèle prend en compte les coûts indirects, non pas présentés comme des dépenses agaçantes qui détournent l’attention du « travail réel » – mais plutôt comme des investissements essentiels à la construction de mouvements forts et efficaces dans la résolution d’enjeux sociaux complexes.
Ce sont les bailleurs de fonds qui doivent se faire les chefs de file de ce genre de changement de mentalité, en finançant non seulement des projets et des programmes à court terme, mais aussi le maintien et le renforcement des institutions qui en sont les fondations à long terme. Ceci étant dit, pour que nos financeurs nous paient le plein prix, nous devons leur montrer ce que ça signifie exactement. Celles et ceux d’entre nous qui ont pour tâche d’obtenir et d’assurer les sources de financements de nos organisations pouvons en effet ouvrir la voie, en exposant à celles et ceux qui nous soutiennent les coûts réels qu’implique le changement social.
Voici quelques idées pour vous inspirer :
- Soyez honnête dans vos conversations avec vos donateurs, indiquant les manières par lesquelles les frais de gestion ou administratifs vous aident à atteindre vos buts communs. Ce feuillet d’information est un bon point de départ pour vous donner des idées de thèmes à discuter et pour mieux décortiquer la problématique de manière concrète.
- Résistez à la tentation de croire qu’une subvention est une transaction qui « achète » les services de votre organisation. L’impact d’une subvention de 10 000$ n’est pas limitée au nombre de cliniques médicales nocturnes que vous serez en mesure d’offrir ; celle-ci permet plus globalement un pas majeur dans une direction commune, une vision partagée, dans ce cas par exemple, de se doter de services de santé accessibles à toutes et à tous.
- Évitez de prendre pour acquis que vous et vos donateurs avez la même définition de ce qu’est un coût indirect. Demandez-leur de clarifier quels coûts sont inclus et exclus de leur cadre de financement. Il est fort possible que leur réponse (et tout ce que vous pouvez inclure dans votre application) vous étonne.
- Ramenez vos frais de gestion à l’échelle humaine. Aidez vos donateurs à comprendre les coûts cachés qui sont essentiels aux programmes qui leurs tiennent à cœur. Les coûts indirects ne représentent pas forcément des salaires exorbitants pour des cadres qui voyagent en jet privé. Ce peut être l’achat d’un logiciel pour mieux faire état des dépenses, l’opportunité d’envoyer des employé-e-s de première ligne à des formations de perfectionnement offertes par des paires, ou encore la chance de remplacer le frigidaire brisé dans la cuisine communautaire.
- Calculez les coûts indirects ainsi que les coûts directs, en les incluant tous deux dans le coût total d’un programme lors de la rédaction d’un budget. Pour ce faire, vous trouverez peut-être utile cet outil en ligne (disponible en anglais seulement). Incluez-y le coût du personnel en charge des demandes de subvention, les ressources pour l’évaluation des programmes et pour en mesurer l’impact, ainsi que les coûts transactionnels d’un programme, comme le temps mis de côté par d’autres employé-e-s pour soutenir le personnel travaillant directement à fournir le service en question. N’hésitez pas non plus à partager ces budgets avec d’autres organisations communautaires pour en multiplier l’usage !
Victoria Pilger est experte en demandes de financement, travaillant pour À deux mains et le Camp de rock pour fille de Montréal. Elle peut être contactée à l’adresse suivante : funds@headandhands.ca.